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Ramata Sall

Ramata Sall, une juriste défenseuse des Droits des Femmes

Non aux violances faites aux femmes

Ramata Sall est une femme Sénégalaise, voire une femme activiste pour les droits des femmes sénégalaises. Originaire de Saint-Louis, elle est la seule de sa famille à avoir voulu entreprendre la carrière de juriste.

Après une formation en Droits de l’Homme et action humanitaire, son engagement l’a amené au début à rejoindre l’Associations des Femmes Juristes Sénégalaises (AJS) et ensuite,en 2017, à assumer (endosser) le rôle de coordonnatrice de la Boutique de Droits de Kolda. En effet, sous sa coordination, la Boutique de Droit est devenue une institution incontournable de la région du Fouladou.

Créée par l’AJS, la Boutique de Droit est un centre de conseil et d’assistance judiciaire au profit des populations démunies, qu’on peut trouver dans les plus importantes villes du pays. Or, l’appellation de Boutique montre l’intention de rapprocher la justice de la population, pour cette raison on n’a pas besoin de prendre des rendez-vous.

Pourriez-vous nous présenter brièvement le contexte de la violence à l´égard des femmes au niveau national ainsi qu’au niveau de la région de Kolda ?

« Au niveau nationale, l’étude GESTES (ndr Groupe d’études et de recherches sur les sociétés et le genre) de l’Université Gaston Berger de Saint Louis donne un bon aperçue du contexte de violences et en faisant la répartition de la violence par région ainsi que par différentes typologies de violences, à savoir les violences physiques, psychologiques, économiques, culturelles, spirituelles.

A niveau local, à Kolda les situations des violences les plus fréquentes sont plutôt liées aux violences physiques mais à l’origine il y a les violences économiques : le mari qui refuse de donner la dépense quotidienne. On peut trouver aussi des cas de violence sexuelle, de mineurs victimes de viol, inceste…

Néanmoins, on remarque d’un côté que les violences ont un peu diminué grâce aux activités de  sensibilisation des acteurs de la société civile. De l’autre côté, qu’il y a une augmentation des cas de divorce entraînés par des situations de violences conjugales soit physiques soit économiques.

À votre avis, à quelles pressions sont soumises les femmes victimes de violences qui ne dénoncent pas?

«  Aux pressions socioculturelles : si la femme est victime de violences conjugales elle a peur d’aller dénoncer, elle a peur d’être stigmatisée, de se sentir dire que ses enfants auront de problèmes. Parfois, on dit qu’il faut faire la médiation pour ne pas salir le nom de la famille. »

En ce qui concerne les femmes qui ont le courage de dénoncer les violences, quelles sont leurs préoccupations et besoins plus urgents ?

«  Quand elles viennent elles ont besoin d’être écoutées, d’être orientées et d’être accompagnées. Parmi les autres choses, la Boutique de Droits fait aussi les conclusions de justice. Vous savez il y a qu’un avocat dans toute la région de Kolda et normalement sont les hommes qui peuvent se le permettre puisque ils ont une source de revenu. Toutefois, pour ne pas laisser les femmes seule lors d’une séance avec le Juge la Boutique de Droits fait la conclusion de justice afin que le Juge puisse savoir ce que la femme veut et veut dire. »

On observe qu’il existe des difficultés pour les femmes à accéder aux instances de prise de décisions. Toutefois pour les femmes qui y réussissent, les difficultés continuent : leur manque de reconnaissance, leur ridiculisation ou leur instrumentalisation de la part des hommes. On peut catégoriser ces difficultés comme violences psychologiques. Pourquoi, selon vous, les femmes dans des positions décisionnelles continuent à subir des violences psychologiques, alors qu’elles devraient être considérées comme des pairs par les autres membres?

«  En Afrique, la société est dominée par le patriarcat. En effet, même le Code de la famille sénégalais affirme que le père est le chef de la famille. Alors, pour une femme c’est très difficile d’avoir un rôle décisionnel. Les hommes mettent le bâtons dans les rues aux femmes qui sont dans les postes de décision parce qu’ils ne les considèrent pas compétentes, et alors ils croient que les femmes ne peuvent pas diriger.

En tenant compte de cela, l’AJS met en place des activités de renforcement de capacité, formation de droits, plaidoyer, lobbying, communication, préparation de réunions… C’est-à-dire des activités indispensables pour invalider l’argument du manque de compétences et donc assurer l’effectivité de la loi sur la parité dans les Conseils communaux.Si la loi sur la parité est appliquée, on peut avoir une Maire femme et les hommes maires pensent que les femmes vont prendre leurs places, ils ont peur.

Mais, les droits on ne le réclame pas. Il faut savoir les arracher.

Les femmes sont conscientes de leurs rôles dans la société et de leurs implications. C’est aussi pour cela qu’il y a eu des reculs par rapport à certaines typologies de violence. »

Madame Sall, pourriez-vous nous raconter ce que vous a amené à l’activisme dans la lutte pour les droits des femmes ?

« Je suis très intéressée par la justice et faire tout ce qui est possible afin que la justice soit rétablie. Je déteste l’injustice.

Mon objectif est surtout lutter contre la vulnérabilité et on sait que les femmes avec les enfants sont les plus vulnérables lors des catastrophes naturelles, des inondations... Toutefois, l’état sénégalais au début ne prévoyait pas des programmes pour les femmes. Depuis quand on a eu une femme dans les instances de décision au niveau national ? La première femme première ministre est une des pionnières de l’AJS. C’était en 2000 suite à une longue lutte. C’est pour cette raison que je veux continuer ce combat pour qu’il y ait une justice effective et efficiente et que les femmes puissent être autonomes. La plupart des situations de violence que nous recevons à la Boutique de Droits c’est à cause du manque d’autonomie des femmes : quand vous ne travaillez pas, vous dépendez d’une personne, à savoir l’époux, et s’il décide de ne pas plus donner l’argent ça devient compliqué. Pour cela, on se bat : pour l’autonomisation des femmes car quand les femmes sont plus autonomes leur vulnérabilité va diminuer. Et quel homme va battre une femme intellectuelle, autonome ? »

Vous êtes considérée une femme leader. Quels sont, selon vous, les défis les plus importants auxquels une femme identifiée comme leader doit faire face ?

«  Il faut faire face à la société, aux pressions socioculturelles. Souvent on entend dire : « Tu es femme tu ne peux pas faire ça ». Croire en soi également, porter son combat et le combat de ses pères, lutter pour l’éradication de violences basées sur le genre, avoir de l’engagement.Enfin, avoir synergie d’action. On ne peut pas tout faire. »

Selon vous, quels changements devraient se réaliser pour que les violences contre les femmes cessent ?

«  Pour éradiquer les violences faites aux femmes, il faudrait qu’il y ait une application effective et efficace des lois. Pour cela, l’AJS fait partie d’un Comité de Réforme des Lois du Ministère de la Justice afin d’appuyer l’état sénégalais, de renforcer le plaidoyer pour que l’état modifie les textes discriminatoires dans le Code de la Familleen lui rappelant ainsi ses engagements internationales et subrégionales. Par exemple, par rapport à la question de l’avortement le Sénégal a signé le Protocol de Maputo sans réserve, ce qui veut dire que le pays doit internaliser le Protocol dans son cadre législatif et donc légaliser l’avortement médicalisé dans le cas d’inceste ou viol. »